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Sexy clodo

30 septembre 2016

Exposition "Vieux Vêtements" : l'art sans oeuvre de Marc-Edouard Nabe

On a l'impression de rentrer dans une friperie. A moins que ce ne soit un musée. On ne sait pas très bien, en fait. C'est une galerie d'art, sauf qu'au lieu de tableaux, ce sont des vêtements usagés qui sont accrochés aux murs et proposés à la vente. Ceux d'un mort illustre ? Même pas. Ceux d'un vivant ignoré, plutôt : Marc-Edouard Nabe. Nous sommes au 4 rue Frédéric Sauton, la petite galerie attitrée du peintre-musicien-écrivain (il y a même peint son nom sur le frontispice) dans laquelle ce dernier enchaîne depuis presque un an des expositions de tableaux qu'il a peints lui-même afin de financer ses projets d'écriture. C'est que Nabe est sorti depuis longtemps du circuit littéraire et ne compte que sur lui-même pour publier ses livres, ce qui implique de chercher l'argent chez les lecteurs qui sont prêts à le soutenir. Pour ça, Nabe peint des tableaux et les met en vente. Aux lecteurs désireux de supporter son projet de débourser s'ils le peuvent de quoi acquérir une toile ou deux.

Seulement, ça ne marche pas très fort en ce moment. Les tableaux n'attirent plus grand monde, comme si pour certains le seul intérêt de Nabe résidait dans ses livres. Tout ceux qui suivent l'écrivain attendent avec impatience la sortie du fameux brûlot anti-Soral & Dieudonné, qui commence à se faire désirer au point de déprécier aux yeux de certains l'intérêt des tableaux nabiens. Pour ceux-là, c'est comme si la peinture de Nabe n'était pas dans le prolongement direct de son œuvre écrite, comme si sa prose et ses toiles ne faisaient pas partie du même univers foisonnant et chatoyant qui donne toute sa texture à son art. Trop de lecteurs, sans doute, ne veulent voir chez Nabe que le polémiste sulfureux, le radical politique, l'anarchiste survolté, mais se moquent bien de partager ses enthousiasmes, de se laisser porter par ses élans d'admiration, de s'associer à ses jouissances. Ce qu'ils retiennent de Nabe, en somme, c'est le Nabe de Non, un recueil de textes et d'articles acides rassemblés par l'auteur, sorti en même temps que Oui, compilant les articles élogieux. Ils oublient trop volontiers que Nabe n'est pas que l'homme du Non, mais c'est aussi, et surtout, celui du Oui, et on n'a pas compris Non si on n'apprécie pas Oui également, car c'est au nom de son oui à lui que Nabe dit non. C'est-à-dire que la négation n'est pas une position de principe chez Nabe, mais c'est d'abord de l'admiration, de la joie effervescente, de la pureté de son enthousiasme que naît son art. Seuls les nihilistes, les frustrés, les aigris, ou ceux qui veulent faire passer Nabe pour tel, ne voient chez Nabe que le Non, oubliant de voir que la négation de Nabe n'est qu'une réaction à ce qui oblitère et s'oppose à ses raisons de s'émerveiller. Les couvertures de Oui et Non sont pourtant éloquentes : c'est en mettant les deux livres côte à côte qu'on fait apparaître sur les couvertures réunies le visage entier de l'écrivain. Ne privilégier qu'un des deux côtés, c'est se priver de la compréhension de la moitié de l'auteur.

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Les livres Oui et Non, parus en 1998


Il est courant qu'un artiste soit mal compris, et Marc-Edouard Nabe est loin de faire exception. Il est en revanche plus rare de voir un artiste faire le ménage parmi ses admirateurs, et c'est précisément ce que Nabe s'emploie à faire. Plutôt écrire seul que mal lu. Pas question de pratiquer un art au rabais pour attirer plus de suiveurs. Au contraire, c'est par son art que Nabe teste et sélectionne ses supporters, et, comme on va le voir bientôt, c'est parce que son art ne se limite pas à son écriture qu'il lui est loisible d'opérer un tri entre ses admirateurs véritables et les autres. Il n'est pas question de juger le bon lecteur au seul fait qu'il achète des tableaux ; tout le monde n'a pas forcément l'argent nécessaire. Non, le mauvais fan se repère au fait qu'il aime Nabe pour de mauvaises raisons. C'est le lecteur nihiliste qui attend passivement la sortie d'un nouveau texte où il compte bien voir Nabe tout dézinguer en séries de phrases assassines, c'est le pseudo-rebelle intégré à la société qui jouit par procuration de la liberté de ton nabienne pour se sentir exister, c'est le lecteur qui n'achète pas de tableaux parce que, et uniquement parce que ce n'est pas de la littérature. Je parie que Nabe aurait déjà l'argent qui lui manque pour sortir son prochain livre si quelques cons nabiens friqués comprenaient enfin que leur idole n'attend pas d'eux que de la reconnaissance ou de l'admiration, mais du soutien ! Mais comment faire pour débusquer ces faux-amis ?


La solution trouvée par Nabe a été de retirer tous ses tableaux de la galerie, et de les remplacer par des vieux vêtements qu'il a autrefois portés. Ici, le manteau qu'il portait en arrivant chez Taddéï face à Benoît Poelvoorde, là, le pull en v bleu de la vidéo d'Oumma TV sur le complotisme, ou encore le costume beige qu'on peut voir sur la couverture de Printemps de feu ou bien les lunettes qu'il a sur le nez sur les couvertures de Oui et de Non. Il y a même de vieux caleçons, des chaussons d'hôtel ou des chaussettes dépareillées. Tous ces articles sont en vente, pour peu qu'ils trouvent un acquéreur. Est-ce que Nabe est pris d'un accès de mégalomanie au point de penser que ses propres vêtements sont des objets précieux du simple fait qu'il lui ont appartenu ? Juge-t-il que ses aficionados vénèrent sa personne au point de voir un intérêt à posséder un vêtement qu'il a personnellement porté ? C'est ce qu'on pourrait encore penser si les prix étaient élevés, mais là, les frusques s'acquièrent à des prix minables : quatre euros, deux euros, cinquante centimes...Mégalo, Nabe ? Clodo, plutôt. On voit mal comment des sommes aussi dérisoires (le prix de l'ensemble des articles n'atteint même pas cinquante euros) pourrait aider Nabe dans sa démarche. Le but n'est clairement pas financier, il s'agit ici d'hameçonner les admirateurs déficients.

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Et ça marche ! Même pas deux heures après la mise en ligne de l'exposition, presque tout est déjà vendu. Les fétichistes de Nabe se sont arraché ses slips et ses costumes décousus, malgré la restriction de n'acquérir que deux articles maximum par acheteur. Se rendent-ils compte de la farce dont ils ont été les dindons ? Cette exposition est en réalité un piège poisseux tendu pour que viennent s'agglutiner les faux bienfaiteurs avides de charité facile, trop heureux d'"aider" leur pauvre idole en lui jetant trois francs six sous, mais surtout contents d'acquérir à si bon compte une relique inestimable, qui ne peut que prendre de la valeur plus tard. Pensez ! Un costard qui a peut-être encore dans un pli un grain de sable d'Irak, la chemise "vieil or" de L'Homme qui arrêta d'écrire, pour deux-trois euros à peine, ce serait bête de rater une telle aubaine ! Les charognards n'ont pas su voir que Nabe avait préparé son coup afin de détecter et de mettre à jour la vile hypocrisie du supporter rétif qui ne manifeste ses élans de générosité que quand la somme est modique, qui ne se sent l'âme charitable qu'à condition que le coût reste raisonnable. Comment ont-ils pu penser que donner deux euros à un écrivain pouvait lui permettre de continuer à écrire ? Les prix grotesquement dérisoires de ce marché aux puces n'ont pas suffi à la leur mettre à l'oreille, la puce ! Les voilà démasqués, les "fervents" veules, les "enthousiastes" frileux, les "fanas" tièdes, qui n'ont révélé dans leur geste que la petitesse de l'estime en laquelle ils tiennent leur artiste préféré ! Léon Bloy serait fier de Nabe, lui dont toute l'oeuvre est traversée par la difficulté à trouver chez ses admirateurs de quoi assurer sa subsistance. Voilà que Nabe a mis au grand jour la réticence faux-cul à la charité dont Léon Bloy a souffert toute sa vie. Il écrivait, Léon Bloy, "j'ai le fanatisme de l'ingratitude", ce qui se comprend aisément s'il subissait lui aussi l'indolente bienveillance de ce type de lecteurs.

 

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Mais le plus fort, dans tout ça, c'est que le geste de Nabe n'est pas qu'une opération de repérage et de fichage des aficionados lointains qui se disent solidaires de lui mais qui rechignent à s'investir personnellement dans son aventure. Il s'agit, encore et toujours, de faire de l'art. Il est très important de comprendre que Nabe est un grand artiste de la médiatisation. Son art ne se limite pas à son style, ni même à ses productions littéraires, picturales, ou même musicales, mais concerne aussi la façon qu'il a de chercher un contact direct entre l'artiste et le spectateur. Il n'y a pas que le contenu qui compte, mais le support lui aussi est souvent l'objet d'un choix judicieux censé illustrer les conditions dans lesquelles Nabe écrit et essaie de parvenir à son lecteur. L'expérience des tracts était déjà une entreprise de ce genre, puisque le fait de publier des textes pour les placarder sur les murs des grandes villes était une façon pour Nabe de montrer qu'il était désormais privé d'éditeur, et que dans l'indifférence générale du milieu littéraire il établissait un nouveau moyen d'entrer en contact avec les lecteurs, qui n'étaient désormais plus seulement les connaisseurs, mais aussi les passants curieux qui s'arrêteraient quelques minutes pour lire sur un mur ce qu'ils ne pourraient lire dans aucun livre et dans aucun journal. Avec l'exposition de vêtements, le procédé est similaire, mais va encore plus loin. Ici, il n'y a même plus de contenu, mais toute la valeur artistique de l'exposition réside dans la mise en scène d'une relation entre le lecteur et l'écrivain, entre le visiteur de l'exposition et l'exposant.

Car ce serait une erreur de penser que Nabe ait voulu faire de l'art contemporain en transformant des vêtements usagés en œuvre d'art, à la manière de Piero Manzoni vendant sa propre merde mise en boîte. En réalité, Nabe se place totalement à contre-pied des artistes contemporains : là où ceux-ci vendent à prix d'or des œuvres d'art qui n'en sont pas, Nabe vend pour des clopinettes des fringues pourries qui n'en sont pas plus. Mais justement, c'est ce prix dérisoire qui marque le fait que ce ne sont pas les vêtements qui sont l'œuvre. Les vêtements ne sont qu'une diversion ; ce qui est créé, c'est la réaction des spectateurs face à une exposition qui, prise au premier degré, est glauque et de mauvais goût. Le but est de voir si le malaise volontairement provoqué par l'exposition aussi crue de la dèche dans laquelle Nabe se retrouve actuellement va susciter un authentique sursaut de soutien ou bien un dérisoire élan de sympathie encouragé par des prix exagérément bas. Ce que le fana mollasson ne voit pas, c'est qu'il fait partie de l'oeuvre qui est mise en place, et que c'est son attitude qui est cruciale. C'est le refus de faire des vêtements d'un écrivain une oeuvre qui propulse l'exposition à un niveau bien supérieur au ready-made. "Peut-on faire des oeuvres qui ne soient pas "d'art" ?", demandait Marcel Duchamp ; Nabe montre ici qu'on peut faire de l'art sans oeuvre.

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La "Merde d'Artiste" de Piero Manzoni

Si l'exposition a atteint son but en attirant une cible déterminée, elle a aussi été l'occasion d'être vue par des spectateurs naïfs qui ignorent tout du contexte et de la situation dans laquelle se place l'exposition. Comme souvent, la galerie de Nabe est le lieu d'événements insolites que seule une galerie de ce type peut susciter. En pleine nuit, par exemple, alors que la galerie est ouverte, un petit groupe de jeunes débarque, avec parmi eux un garçon complètement ivre. Sans comprendre trop où il se trouve, il regarde les vêtements exposés, et finit par prendre une cravate dont il a besoin pour le lendemain. Une fois la transaction effectuée, Nabe lui montre même comment faire le noeud de cravate, puis le groupe repart avec son acquisition, sans même avoir compris à quoi ils avaient eu affaire. Ça fait aussi partie de l'idée de l'exposition de n'être pas qu'une exposition, mais de pouvoir aussi être, accessoirement, la seule boutique de cravates de Paris ouverte à deux heures du matin.

Il était indispensable que quelqu'un, témoin direct de cette expérience artistique, prenne la peine de la mentionner. Entreprise au mois de juillet 2016, celle-ci n'a duré que quelques jours, et n'a fait l'objet d'aucun commentaire, d'aucune recension depuis, à l'exception de deux lignes sur le site de Marc-Edouard Nabe. Il serait dommage qu'un tel coup tombe dans l'oubli. Certes, l'aspect éphémère et confidentiel de la chose tranche encore davantage avec la médiatisation excessive dont jouissent certains artistes contemporains sans talent et sans idées, ce qui rajoute encore une nuance d'authenticité et d'originalité à l'exposition. Mais il fallait rendre public et accessible le sens et la portée de la démarche, ne serait-ce qu'afin que les piégés aient l'occasion de comprendre leur connerie et, qui sait, de se repentir. Se souviendra-t-on plus tard de l'exposition "Vieux Vêtements" de Nabe ? Aujourd'hui en tout cas, il ne faudrait pas taire une entreprise artistique qui mérite d'être retenue dans l'histoire de l'art.

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1 décembre 2015

L'analyse de Marc-Édouard Nabe sur les attentats du 13 novembre

Les attentats qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre dernier et qui ont fait 130 morts sont le fait de religieux fanatisés, qui ne supportent pas que dans un pays comme la France l'on vive contrairement aux préceptes du Coran, en buvant de l'alcool aux terrasses des bars, en discutant avec des femmes, et en plébiscitant un modèle de société égalitaire, laïque et moderne. Voilà le discours dont les médias nous abreuvent depuis deux semaines pour expliquer les motivations meurtrières des terroristes. On a pu lire que la France, et surtout Paris, serait un symbole de la "joie de vivre", et que c'est pour cette raison que les islamistes en auraient fait une cible de choix. Marc-Edouard Nabe défend une toute autre version des évènements, et ce depuis les attentats du 11 septembre, où de semblables interprétations avaient été avancées. Le terrorisme islamique n'est pas une conséquence de l'islam, mais est une réponse directe aux politiques occidentales agressives envers les pays arabes. Cette thèse avait été développée très en détail dans Une lueur d'espoir et J'enfonce le clou, où Nabe passait à la loupe les attentats des années 2000 pour montrer la cohérence politique dont ceux-ci procédaient (précisons au passage que le dégagement de cette cohérence suffit à lui seul à réfuter toute interprétation complotiste des faits). Plus récemment, c'est aux attaques contre Charlie Hebdo que Nabe a consacré le deuxième numéro de sa revue Patience. Le style volontiers emphatique et enthousiaste de Nabe peut laisser croire aux lecteurs inattentifs que celui-ci adule les terroristes et justifie les massacres qu'ils commettent, mais sa position est un peu plus subtile que cela. Dans une interview accordée à Oumma TV, Marc-Edouard Nabe propose la définition du terrorisme qui est sans doute la plus exacte qu'on puisse trouver : "le terrorisme, c'est répondre à l'injustice par une autre injustice". De ce point de vue, ce n'est donc pas à une apologie du terrorisme que Nabe se livre, mais à une analyse globale, qui comprend bien sûr les aspects politiques de la question, mais aussi les ressorts invisibles qui sont à l'oeuvre dans ce genre d'évènement, une analyse qui est une exégèse des coïncidences et des synchronicités quasi-surnaturelles qui s'y manifestent et dont le complotisme fait ses choux gras. Non pas une apologie, donc, mais une "nabologie", comme l'indique le titre de cette vidéo où Nabe analyse, commente, et débat sur les attentats du 13 novembre.

Le mérite de cette vidéo est de revenir sur les faits dans leur chronologie, et de rappeler l'évidence suivante : c'est la France qui a déclaré la guerre contre l'Etat islamique et non l'inverse. Nullement ignorant de la mentalité jusqu'au-boutiste et vengeresse des membres de Daesh, il est évident que François Hollande savait qu'en agissant ainsi, il engageait les citoyens français dans cette guerre, de la même manière qu'en bombardant les fiefs de l'Etat islamique il toucherait sûrement des cibles non militaires. Il n'est pas question de légitimer qu'on tue des innocents pour venger d'autres morts, mais de remarquer que, dès lors que l'on sait que le camp auquel on fait face est adepte de ce genre de missions punitives, prendre la décision de l'attaquer revient à endosser une lourde responsabilité. Il est donc clair que François Hollande a sur les mains le sang des victimes du 13 novembre. On aurait pu s'attendre à ce que les français aient, au lendemain du 13 novembre, le même sursaut de lucidité qui avait poussé les espagnols, en 2004, à réclamer la démission de Haznar, après avoir été durement frappés par des attentats à cause de l'engagement de l'Espagne dans la guerre contre Saddam Hussein, mais il semble que l'intelligence du peuple français soit en-dessous de tout, puisque la cote de popularité de François Hollande a monté en flèche après les attentats. Même sans chercher à réfléchir dans le sens de la justice, il est pourtant évident que la décision d'intensifier les frappes contre l'Etat islamique est stratégiquement stupide car c'est donner encore plus de motifs aux terroristes de nous frapper, et il est illusoire de penser que l'état d'urgence servira à quoi que ce soit, puisque les terroristes ont pour eux le temps, qui use inévitablement la vigilance.

La solution de Nabe au problème du terrorisme est simple : il suffirait que ceux qui sont tentés par l'action violente aient la possibilité de s'exprimer verbalement sur les grands médias pour que leurs velléités de passage à l'acte soient calmées. Un terroriste, pour Nabe, c'est quelqu'un qui recourt à des moyens extrêmes pour exprimer politiquement une parole qui lui est confisquée par ailleurs. Les frustrations, le sentiment d'injustice, la colère, s'accumulent comme dans une cocotte-minute (ou plutôt devrait-on dire : une "marmitte") qui finit par exploser à cause de la pression, et la possibilité d'expression publique servirait de soupape pour évacuer ce trop-plein. Nabe propose donc que les médias ouvrent leurs portes à toute personne désireuse de s'exprimer, sans filtrage, sans censure, sans police de pensée. C'est d'ailleurs la formule qu'il applique au sein de son exposition, où tout le monde est accueilli et peut exprimer son avis. Les réactions des différents lecteurs face aux attentats sont d'ailleurs diverses, et pas forcément sur la ligne nabienne. Ainsi, un lecteur musulman analyse les attentats avec détachement tandis qu'un autre, probablement pris de compassion pour les victimes et leurs familles, se demande s'il n'existe pas une alternative au terrorisme. Ce que ce lecteur ne voit pas, c'est qu'il a la réponse à sa question sous les yeux. Quelle alternative au terrorisme ? L'art, bien sûr, que Nabe voit comme une forme de terrorisme, mais poursuivi avec des moyens différents. Il écrivait déjà en 2004, dans J'enfonce le clou :

"L'évolution naturelle pour un artiste, c'est le terrorisme. Chaque écrivain doit trouver sa forme pour terroriser...Quoi ? La culture, bien sûr ! D'abord et avant tout..."

L'époque est trop grave pour se taire. La société occidentale actuelle, basée sur "la négation de toute énergie", sur l'absence de toute spiritualité authentique, de tout art véritable, sur la mort en un mot, ne peut qu'engendrer des terroristes en puissance. Nabe ne peut pas se sentir solidaire de ceux qui ne voient pas le problème avec notre époque, et s'il est davantage du côté des terroristes, c'est que ceux-ci au moins réagissent. Cela signifie-t-il que les terroristes doivent être considérés comme des héros et que leurs meurtres sont justifiés ? Sûrement pas. Les tueries aveugles restent ignobles, et leurs auteurs tiennent plus de la petite frappe de banlieue qui fait les choses "à l'arrache" que du professionnel hyper-organisé et méthodique. Aucune grandeur n'est à admirer chez ces personnages, sauf peut-être au moment où ils font face à la mort. Mais l'important est qu'à travers eux s'est produit quelque chose qui a du sens, et qui devrait interroger la société. "Interroger la société", c'est l'argument que sortaient les défenseurs du plug anal géant de la place Vendôme pour justifier son statut d'oeuvre d'art, alors que la seule "interrogation" qu'il suscitait, c'étaient les offuscations de quelques conservateurs et les grincements de dents de ceux qui aimaient trop l'art pour admettre que cette sculpture en était. Non, quand je dis que le terrorisme interroge la société, il faut vraiment s'imaginer l'accusé dans son box sommé de répondre au procureur. Exhiber un drapeau tricolore aux fenêtres ou sur son statut Facebook, appeler à la vigilance contre l'amalgame, continuer dans la surenchère militaire, déployer l'état d'urgence, ne sont pas une réponse adaptée. La seule voie de sortie, c'est la Parole, car notre problème est que nous vivons dans une civilisation de mort, et que la Parole c'est la vie. S'en tenir au niveau du symbole pour exprimer sa "solidarité", c'est encore rester dans la mort. Que chacun parle et dise sincèrement ce qu'il pense, ça ira déjà mieux.

13 novembre 2015

L’annonce du lauréat du Goncourt perturbée par des activistes nabiens

Le 3 novembre 2015 étaient décernés les prix Goncourt et Renaudot. Alors que Didier Decoin, le secrétaire général de l'académie Goncourt, avait pris la parole devant les caméras pour communiquer le nom du lauréat, son annonce a été interrompue lorsque la revue Patience, auto-éditée par Marc-Edouard Nabe, lui a été mise sous le nez par un lecteur. Avec un timing parfait, le surgissement de la couverture, figurant Adolf Hitler tenant entre ses mains une pancarte "Je suis Charlie",a suffi à semer le trouble à l'instant le plus crucial. Didier Decoin, surpris par cet évènement imprévu, s'est interrompu juste au moment où il venait de prononcer le nom du gagnant, et n'a terminé son annonce qu'une fois le gêneur évacué.

Ce geste a permis de faire revenir subrepticement dans les esprits le nom du plus grand pestiféré du monde littéraire. En effet, Nabe a, depuis le début de sa carrière, été l'objet de la part du milieu culturel d'une conspiration du silence quasi-constante, interrompue épisodiquement, comme par exemple en 2010, lorsqu'il était en lice pour le prix Renaudot pour son premier roman anti-édité, L'Homme qui arrêta d'écrire. Ce n'est donc pas un hasard si le perturbateur nabien avait précisément choisi d'entrer en action dans ces circonstances, et même si on ne peut qu'applaudir ce qu'il est convenu d'appeler un "attentat littéraire", les réactions qui se sont ensuivies ont eu de quoi surprendre.

Le mérite de cet acte a été de renvoyer dans le néant les noms des gagnants des deux prix, par contraste par rapport à un écrivain véritable dont l'oeuvre dépasse en dimension n'importe quelle bouse primée. Rappelons brièvement que Nabe est l'auteur d'une trentaine de livres, que depuis 1985 il développe une oeuvre engagée au service de son idée de la Justice, de la Vérité, et de l'Art, et que pour ce faire il a beaucoup travaillé non seulement sur son style, mais aussi sur le support de son écriture. Son dernier opus est le deuxième numéro du magazine Patience, consacré à l'affaire Charlie Hebdo, et dont aucun média officiel n'a parlé. Mais puisque l'irruption inattendue de cette revue au milieu d'un prix littéraire s'est faite en direct, les journalistes ne pouvaient pas ne pas faire au moins un bref commentaire à ce sujet. C'est ainsi que TV5Monde nous a offert le plus beau spécimen d'incompétence journalistique à travers Demet Korkmaz, qui a expliqué l'incident en prétendant qu'il s'agissait d'un geste de protestation contre la réédition prochaine de Mein Kampf !

 La vidéo diffusée par les auteurs du coup d'éclat montre pourtant bien que ceux-ci ont expliqué aux caméramans présents sur place la raison de leur acte, et il était donc facile pour la journaliste de TV5Monde de s'informer. Une simple recherche google lui aurait également permis d'en savoir plus, puisque les quatre seuls articles à avoir été consacrés au sujet se trouvaient sur la blogosphère (prenons le temps de les citer : Guillaume Basquin, Fabrice Pastre, Rahsaan, et votre serviteur). Que des journalistes en arrivent à ce point de taire à tout prix la production d'un artiste alors que de simples amateurs parviennent à mieux saisir la dimension de ce qui se passe montre bien que nous vivons une période révolutionnaire. Les anonymes, les gens ordinaires commencent à prendre leur destin en main et à se passer des pseudo-élites pour prendre conscience de ce qui est vraiment important. L'oeuvre de Nabe, en ce sens, est fondamentale aujourd'hui, puisqu'elle repose entièrement sur cette relation directe, non médiatisée, entre l'artiste et ses aficionados. La galerie de Nabe, ouverte depuis le 15 septembre, et qui présente une nouvelle exposition jusqu'au 30 novembre, au 4 rue Frédéric Sauton à Paris, et qui voit défiler chaque jour de nouvelles personnes malgré l'absence totale de relai médiatique, est l'illustration la plus parlante de ce phénomène.

Il est d'ailleurs fort appréciable que cette exposition de peintures en couleurs, comme la précédente, toute en encre, bénéficie de deux supports complémentaires qui permettent de suivre au jour le jour ce qui se passe dans la galerie : un compte Instagram et une chaîne youtube nous rapportent quotidiennement les rencontres qui ont lieu autour des tableaux de Nabe. Notons à quel point le hasard intervient souvent, et amène les visiteurs les plus inattendus. Ce n'est d'ailleurs pas de hasard dont il s'agit, mais plutôt de Providence, si on considère la multitude d'anges qui gravitent depuis deux mois autour de ce lieu béni ! Comment expliquer autrement qu'une telle profusion d'êtres si beaux, doux, intelligents, sensibles, drôles, apparaissent les uns après les autres dans un local si petit ? L'extraordinaire Edouardo, les sympathiques lesbiennes danoises, l'immense antisémite Pascal, la belle Vianne, Huda la gazaouie, Mama la vendeuse à la criée, l'actrice du Kazakhstan, sans oublier bien sûr Marcel Zanini...où d'autre trouver un tel oasis d'humanité qu'autour de ce démon de Nabe, dépeint par ses ennemis comme un haineux, un aigri, un frustré ? Il n'y a qu'à voir les réactions indignées des internautes ayant découvert sur le facebook de Caroline Fourest la vidéo du 7 janvier, où Nabe commente en direct la tuerie de Charlie-Hebdo. Ces haineux qui crachent sur Nabe sans rien connaître de son oeuvre, de son combat, de ses souffrances, ont-ils jamais senti cette ambiance si spéciale, ce sentiment partagé qui naît de l'admiration commune pour une oeuvre, et qui se passe de toute idéologie, d'esprit de chapelle, d'affinité de caractères ? C'est précisément cette communion spirituelle qui est créée autour d'une oeuvre, ce moment de grâce dans la grisaille, qui justifie et prouve la légitimité de l'engagement total d'un artiste pour son art. Que cela suffise à faire taire les envieux, et à continuer à attirer les hommes de bonne volonté.

23 septembre 2015

Nabe l'anti-Charlie

Marc-Edouard Nabe a publié le deuxième numéro de sa revue Patience. Après Daech, c'est de l'attentat de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 dont il est question. Et s'il y avait quelqu'un qui avait quelque chose à dire sur ce sujet, c'est bien Nabe, qui, le jour de l'évènement, bouclait l'exposition qu'il avait tenue sur ses dessins publiés chez Hara-Kiri en 74. En l'absence de toute sollicitation de la part des médias, et parce que l'évènement le touchait de trop près, il prend 150 pages pour exprimer son point de vue sur l'affaire.

Le texte, titré La vengeance de Choron, commence par une narration de l'exposition de Nabe de décembre dernier. Celle-ci avait été l'occasion de rendre un hommage à l'esprit « bête et méchant » de Hara-Kiri et de sortir son premier numéro de Patience, dont j'ai déjà parlé. Pendant tout un mois, les lecteurs désireux de rencontrer Nabe n'avaient qu'à pousser la porte du 2 rue Pierre-Le-Grand, Paris 8ème, pour discuter avec l'écrivain au milieu de ses dessins d'adolescence, dans une ambiance proche de celle qu’il décrit à propos du décrochage de son exposition :

"Plein de gens se mélangent : fascistes, gauchistes, musulmans pointilleux, moins pointilleux, avocats, cybernéticiens, chauffeurs de bus, princes, peintres en bâtiment, Noirs, pédés, Juifs, antisémites, anti-antisémites, comédiens, journalistes, blogueurs, musiciens, flics, bibliophiles, pharmaciens, Russes, clochards, espions, vieux, jeunes, enfants, Chinois, ostéopathes…Et tout cela dans la plus grande harmonie ! L’égalité et la réconciliation, moi, je les pratique vraiment ! "

J'ai moi-même le souvenir d'une soirée agréable à la galerie, à discuter de sujets variés avec des lecteurs divers et un Nabe qui, loin de se poser en gourou, laissait parler, écoutait, blaguait… La question qui me brûlait les lèvres concernait son prochain livre, l'immense somme contre les conspis qu'il a annoncée il y a maintenant deux ans. Ma crainte était que l'ouvrage en préparation s'alourdisse sans cesse au gré des évènements qui se succédaient, au point que leur accumulation repousse indéfiniment la sortie du livre. Je voyais le projet de Nabe comme une course contre le temps jamais achevée, à la Tristram Shandy, le temps creusant toujours son écart par rapport à celui qui le poursuit. Je fis part à Nabe de cette inquiétude, mais il sourit en faisant "non" de la tête, comme amusé par la naïveté de ma question. Si j'avais été meilleur lecteur, j'aurais bien su que Nabe ne court pas après le temps, mais qu'il le maîtrise. La mutation de son œuvre en témoigne : depuis le journal intime qu'il tenait au jour le jour jusqu'à Patience, son souci constant est de faire coller son écriture au présent, c'est-à-dire aussi bien à sa vie personnelle qu'à l'actualité, dont les points de rencontre sont d'ailleurs fréquents. L'écriture est chez Nabe un moyen de retenir l'écoulement du temps pour le fixer dans l'éternité. L'art de Nabe lui confère donc un rapport apaisé au temps, autrement dit cette vertu cardinale qu'on appelle patience.

De la patience, il lui en a en effet fallu pour composer son numéro ! 150 pages, avec une police plus petite que Patience n°1, contenant une somme énorme d'informations inédites et incroyablement précises sur le déroulement des attentats, sur les moindres faits et gestes des Kouachi et de Coulibaly. Contrairement au Patience n°1, qui ne montrait que des photos réelles et non truquées, certaines illustrations du n°2 sont des photomontages hilarants En outre, pas moins de 41 pages sont consacrées à la revue intégrale de l'évolution de Charlie Hebdo depuis sa reprise par Philippe Val. 41 pages vides d'illustrations, Nabe décrivant les dessins qu'il commente sans les faire montrer. On note le procédé artistique que Nabe affectionne, consistant à faire passer dans l’écriture une œuvre initialement présente sur un autre support, pictural ici. Qu'on se rende compte que Nabe a pour ce faire pris la peine de lire un à un chaque numéro de Charlie Hebdo depuis 1992 sur microfilm (plus d'un millier) ! Un travail colossal et pénible que n'ont sûrement pas fait les journalistes ayant affirmé faussement que Charlie Hebdo ne s'en prenait pas plus à l'islam qu'aux autres religions. Un journaliste  pressé par les rythmes de publication ne peut que s'appuyer sur les unes pour faire son analyse, tandis que Nabe est allé lire l'intégralité de chaque numéro en prenant en compte le contexte. On mesure l'avantage de travailler seul et sans rythme de publication préétabli en constatant la qualité du rendu final, dont le contenu a de quoi faire rougir de honte toute personne qui se disait "Charlie" après le 7 janvier. Car ce que Nabe retrace minutieusement, c’est la progressive plongée d'un journal au titre mythique, créé par ce géant de Choron, dans la fange la plus abjecte, dans l'idéologie laïcarde et droitière, dans le racisme anti-arabe sous couvert d'humour et de liberté d'expression. Le comportement des différents membres du journal est également rapporté, ce qui donne une fresque de la lâcheté d'un Cavanna, de la bêtise d'un Cabu, de la médiocrité d'un Charb, de l'autoritarisme d'un Val. Autant de raisons pour Choron de se retourner dans sa tombe.

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Nabe, comme à son habitude, est dans ce texte d'une violence et d'une cruauté inouïes. Les victimes des frères Kouachi ne lui inspirent pas la moindre pitié, y compris Wolinski, dont pourtant il vante à plusieurs reprises le talent, mais déplore son manque de discernement. De la même manière qu’il considérait que la cause des attentats du 11 septembre était à chercher dans le comportement des Etats-Unis et non dans le fanatisme religieux, Nabe affirme ici que Charlie Hebdo a tout fait depuis des années (et bien avant l’affaire des caricatures de 2006), pour s’attirer la haine des musulmans. Il ne s’agissait pas « d’humour », mais bien de militantisme politique inconséquent et mesquin, comparable au journal antisémite Der Stürmer des années 30. C’est le même militantisme que Nabe voit dans la manifestation des « Charlie », et qu’il brocarde à travers la couverture représentant Hitler avec entre les mains un écriteau « Je suis Charlie ». Provocation ? Lucidité, surtout. Le mouvement des Charlie était un phénomène de masse provoqué par une mystique collective de la médiocrité, par un voile d’ignorance partagée qui empêchait les participants de comprendre l’épilogue tragique du 7 janvier. Tout comme la plupart des Allemands suivant leur Fuhrer sans avoir conscience de ce qui se jouait, les Français ont donné le spectacle d’un manque grave de discernement, sous prétexte de valeurs que le canard qu’ils se sont alors arraché par millions était loin d’incarner. Nabe écrivait déjà, en 2006, dans le tract Et Littell niqua Angot, ce jugement qui s’appliquerait très bien aux « Charlie » :

« Quand on voit les connards de trente ans de notre époque, on n’a aucune peine à imaginer qu’à la fin des années vingt en Allemagne d’autres trentenaires aient pu trouver dans le nazisme une nouvelle façon de penser et d’agir... »

Personne n’avait donné jusque là les vraies raisons de ne pas se sentir « Charlie » le 11 janvier. Il fallait que ce soit un vrai connaisseur du dossier qui s’en charge, un artiste pour qui la liberté d’expression se conquiert de haute lutte et ne se quémande pas. A l’heure qu’il est, alors que les « Charlie » ont renfloué pour des siècles les caisses d’un journal indigent, Nabe ne compte que sur ses propres forces pour continuer à écrire à destination de quelques happy few, dans le silence glacé de toute une époque. Il vient d’ouvrir une nouvelle exposition, au 4 rue Frédéric Sauton, Paris 5ème, qui présente ses manuscrits et ses travaux à l’encre. Je crois que je ne vais pas tarder à y faire un tour, pour respirer encore un peu de l’air frais dont ce numéro de Patience m’a fourni quelques bouffées.

31 juillet 2015

Lettre à la mort

Article publié sur agoravox le 28 juin 2014

Chère Mort,

Tu seras peut-être surprise de recevoir une lettre, j’imagine que ça ne doit pas être bien souvent que tu as du courrier. Moi-même, je t’avoue, en t’écrivant, je me sens fébrile. L'impression est un peu plus glaciale mais ça me rappelle quand j'écrivais, petit, au Père Noël. Après tout, le rapprochement n’est pas si saugrenu : comme l’obèse au bonnet rouge qui visite en quelques heures des millions de maisons de par le monde, tu sillonnes le globe à une vitesse inconcevable pour frapper les uns après les autres des individus éloignés entre eux de plusieurs milliers de kilomètres. La différence, c'est que l'autre feignasse ne travaille qu’une nuit par an, alors que toi tu ne prends jamais de repos.

Si je t’écris aujourd’hui, c’est pour te demander si ça va. Je me fais du souci pour toi, tu sais. Ce n’est pas que j’aie l’impression que tu sois en perte de vitesse ; au contraire je n’ignore pas que ton agenda est toujours bien chargé. Ce n’est pas non plus que je m’inquiète de ta réputation ; tu n’as jamais été spécialement aimée de toute manière, et je crois bien que cela t’es indifférent. Et ce n’est pas non plus que je sois particulièrement pressé de te croiser sur mon chemin, merci. Non, ce qui m’inquiète, c’est ce piège dans lequel l'homme du XXIème siècle veut te faire tomber. Sa volonté aujourd'hui, c'est de te domestiquer, de t’apprivoiser, de te dresser pour que tu n'agisses plus à l'improviste, mais sur commande. Il voudrait que tu ne viennes le chercher que quand lui l'a décidé. Un coma, un handicap, une souffrance, et te voilà illico convoquée. Pas question pour lui de vivre de manière non rentable, il veut tracer des autoroutes à travers les forêts obscures du destin pour t'obliger à y passer selon son bon vouloir. Je te vois mal accepter de voir tes itinéraires si proprement balisés, toi qui es si libre, si imprévisible.

Ta liberté, elle est essentielle à ta fonction. Car c’est en nous prenant par surprise que tu soulèves le rideau d’illusion qui nous aveugle. Toutes les choses que nous croyons importantes, indispensables, précieuses, tu en montres la vacuité quand tu te pointes avec ta faux, sans prévenir. C'est comme à la fin d’une caméra cachée, quand on révèle le pot aux roses : "Ce n’était qu’une blague ! Vous vous êtes bien fait avoir. Si vous voyiez votre tête !". On pourrait prendre bien trop au sérieux cette absurdité qu’est la vie si tu n’étais pas là pour vendre la mèche. C'est la caractéristique des temps présents : prendre tout au sérieux, ou le tourner en dérision, ce qui est au fond la même chose. Personne ne veut plus considérer le ridicule tragique dont est affublée toute existence, du début à la fin, et c'est pour ça que l'on veut te chasser de notre vie quotidienne, te relèguer le plus loin possible de nous pour ne plus te voir, et finalement t'oublier. Alors qu'autrefois tu t'invitais directement chez les gens, sans que ça leur fasse plaisir pour autant, on te prie maintenant de ne passer que par l'hôpital, et encore, uniquement quand nous le voulons bien, c'est-à-dire quand on estime qu'une vie ne vaut plus la peine d'être vécue à force de souffrance. Après tout, il n'y a pas si longtemps on te construisait des camps, ce qui relève de la même logique. Même les militaires, qui faisaient autrefois partie de tes intimes, ne veulent plus entendre parler de toi, et veulent des "guerres propres", à l'abri derrière une télécommande, à 5000 kilomètres de l'endroit où tu te tapes le boulot. Et c'est à peine si tu as le droit de prendre le volant, tant tu es persona non grata sur nos routes. Un jour on te sucrera le permis pour de bon. Pauvre mort ! Si seule, si asservie...

Et si égalitaire, aussi ! C'est toi la grande niveleuse, l'élagueuse absolue. S'il y en a bien une qui ne fait aucune distinction entre les gens, c'est toi. Le ministre comme le chômeur, le riche comme le pauvre, le Blanc comme le Noir, le pédé comme l'hétéro, la femme de gauche comme l'homme de droite, la pute comme le client, tous reçoivent ta visite à un moment ou à un autre, et tu demandes le même tarif pour chacun. Ca explique pourquoi, à une époque où on a que l'égalité à la bouche, tu fascines à ce point. Car ce n'est pas parce qu'on veut taire ton nom que tu ne fascines pas, bien au contraire ! Et c'est là qu'est le paradoxe, car d'un côté on essaie de te circonscrire pour ne plus voir ta tête de Mort, et de l'autre on te met sur un piédestal en tant qu'auxiliaire du Droit, en t'associant à la Dignité. Ce n'est que quand tu te seras encombré de cette coéquipière, que tu ne connais ni d'Eve ni d'Adam d'ailleurs, qu'on t'accordera de la considération. Ne me dis pas que tu te fais avoir aussi facilement. Je te croyais plus intelligente que ça, la Mort. Quoique... Es-tu intelligente ? C'est à voir... Vu le nombre de connards à qui tu tardes tant à faire un petit coucou bien mérité, il y a vraiment de quoi se poser la question.

Tout ça pour dire que la situation n'est pas brillante. Je sais bien que les choses n'ont jamais été simples entre toi et nous, mais là, il faudrait vraiment penser à la relation qui nous lie fatalement. Nous te devons la conscience de l'Infini, car c'est en nous démontrant infailliblement notre finitude que tu nous fais deviner l'Infini, et nous permet de l'effleurer. L'art, la religion, l'amour, qui font vibrer la vie, nous ne les aurions pas sans toi. Mes contemporains, parmi toutes les confusions qu'ils comettent, assimilent l'Infini à l'illimité, ce qui est une erreur car les limites sont ce qui permet à l'Infini de se manifester sous ses divers aspects. Voilà pourquoi ils se méprennent sur ton compte, et croient possible, voire même désirable, de te soumettre à leurs caprices. A force de vouloir l'Homme tout-puissant, et donc de tout contrôler, y compris toi, nous ne savons plus goûter la vie. Ca ne m'étonne pas que tant de gens préfèrent aller à ta rencontre en bas d'un pont ou au bout d'un canon, ils doivent trouver qu'il y a là plus de vérité que dans un hôpital, entouré de toutes sortes de machines. Mais ces quelques-uns qui t'accueillent comme la libératrice que tu n'es pas, je doute qu'ils suffisent pour te faire accepter ta condition présente. Ne vas-tu pas te rebeller un jour ? Est-ce qu'à force d'être traitée comme une domestique tu ne vas pas renverser la situation et devenir l'impératrice des temps futur ? Ce n'est pas non plus ta place, et c'est pour empêcher cette éventualité que je t'écris aujourd'hui, pour te montrer que nous sommes quelques-uns à penser un peu à toi et au jour où on se verra, en chair et en os si je puis dire.

D'ici ce moment, que j'espère le plus tard possible, je te dis bon courage.

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4 juillet 2015

L'ultime aboutissement de la science

Voici un autre texte proposé à agoravox à de multiples reprises, et qui n'a pas été publié. Il est vrai que ce site privilègie les articles, alors qu'il s'agit ici d'une nouvelle.

En l’an 11 752, les sciences avaient atteint un tel niveau de développement qu’il serait impossible d'en faire une description avec les mots du XXème siècle. Pour en donner une idée tout de même, nous dirons que les théories de la physique avaient atteint un degré de complexité et de finesse extrêmes, que les savants successifs qui avaient étudié la nature de la matière depuis nos jours étaient allés de surprises en surprises et avaient dû réviser plusieurs fois les certitudes qu’ils avaient admises auparavant. Mais à force de retordre du fil, on avait fait faire à l’ignorance un prodigieux bond en arrière, si bien que celle-ci se réfugiait désormais dans son dernier bastion. Car en effet, après que les questions résolues aient amené à d’autres questions qui furent résolues à leur tour, il ne restait plus qu’une seule chose à savoir. Un dernier effort et la science physique pourrait enfin se prétendre complète.

Cette dernière découverte allait être rendue possible par l'observation d'une particule (bien que ce terme archaïque ne soit pas tout à fait adapté, nous continuerons à l'employer pour faciliter la compréhension, avec des guillemets) et de ses caractéristiques, qui n'avait encore jamais été observée malgré plusieurs essais et qui complèterait le modèle que les physiciens de toutes les planètes et de toutes les galaxies avaient eu tant de mal à établir jusqu’à ce jour. L'observation de cette « particule » donnerait immédiatement la seule indication qui manquait pour compléter définitivement la connaissance humaine de la nature, laquelle n'aurait désormais plus le moindre secret. Toute la communauté scientifique, à l’exception de quelques sceptiques, était optimiste quant au succès de l’expérience qui fut mise en place pour révéler la « particule » opiniâtre. Les plus poétiques d’entre eux, qui avaient une certaine connaissance des temps anciens, disaient que le visage de Dieu allait enfin être dévoilé, à l'étonnement de leurs confrères pour qui le nom même de Dieu était inconnu, tant ce terme était tombé en désuétude. Le dispositif expérimental, un accélérateur d’une taille inédite, de forme elliptique, s’étendait depuis Proxima du Centaure jusqu’au centre de la Voie Lactée. Pour le construire il avait fallu déplacer des planètes, bouleverser des systèmes solaires, défigurer des nébuleuses, ce qui avait provoqué la colère de quelques populations locales, moins sensibles aux progrès de la science qu'aux chamboulements cosmiques causés par ces travaux.

Mais ce projet titanesque prit un jour fin, et les sommités scientifiques de tout l’univers s’étaient réunies pour l’inauguration de cet appareil qui allait enfin éclairer la dernière zone d'ombre de la science humaine. Dans la salle où ils s'étaient rassemblés, une lunette d'observation permettrait à celui qui regarderait dedans, une fois la "particule" détectée, de contempler celle-ci et d'obtenir immédiatement l'ultime réponse. Le président du gouvernement universel, Mustapha Von Xztrymblefeld, originaire de Pluton, avait dirigé une cérémonie pour souhaiter le succès de l’expérience qui allait être menée devant l’assemblée. Après un discours plein d’enthousiasme, il se dirigea vers un levier orné d’un ruban rouge, celui qui allait déclencher le début de l’expérimentation à l'issue de laquelle la « particule » allait enfin pouvoir être vue. Avec gravité il activa le dispositif pendant que la salle retenait son souffle et que les bouteilles de champagne moléculaire se préparaient à éjaculer leur mousse. Il y eut quelques minutes d’attente (car une telle expérience prenait du temps) qui furent insoutenables. Enfin, une lueur verte sur l’écran de contrôle indiqua que le protocole avait abouti et que tout s'était bien déroulé : la "particule" avait été piégée. Il ne restait plus qu’à se pencher et à mettre l’œil sur la lunette pour la voir enfin, et cet honneur échut au directeur du laboratoire qui avait dirigé le projet. Il s’exécuta en tremblant d’excitation, et sous les regards exaspérément inquiets et curieux de ses collègues, il se figea brusquement avec un hoquet de stupéfaction. Il se leva lentement, livide, comme s'il venait de voir le monde s'écrouler. Après quelques secondes d’hébétude qui exaspérèrent la curiosité de l'assistance, il parvint enfin à articuler, avec peine : « Monsieur le président...regardez ça... » N’y tenant plus, l'interpellé se précipita vers la lunette, et en y collant son œil, il la vit. La "particule" était là, piégée, observable. Elle avait la forme d'un rectangle, de couleur blanche et moucheté de petites tâches noires. Ça ressemblait à un petit papier avec un message écrit dessus. Il zooma un peu, et il put distinguer :

 

CELUI QUI LIT ÇA EST UN CON
4 juillet 2015

Nabe a raison !

Pour ouvrir ce blog, je poste un article que j'avais proposé à agoravox le 9 décembre 2014, et qui a été refusé à trois reprises par la modération. Outrage idéologique à une modération composée à la fois de complotistes et de bien-pensants, ou simplement choix d'illustration jugé trop sale ? Impossible de savoir, mais quoi qu'il en soit, grâce à la création de ce blog, cet article peut enfin sortir de l'ombre. Il est certes maintenant désuet par plusieurs aspects, mais son sujet reste toujours d'actualité. Cela me permet également d'ouvrir ce nouveau blog sous les auspices d'un écrivain que j'admire énormément et dont je suis le travail de très près : Marc-Edouard Nabe.

La dissidence devrait vraiment commencer à prendre Marc-Édouard Nabe au sérieux. Et pas seulement à cause du photomontage présent en une de son nouveau magazine Patience, où il apparaît en bourreau de Daesh, prêt à décapiter un Dieudonné agenouillé devant lui en tenue orange d'otage (Soral est lui aussi visible, saisi au collet dans un encadré au coin de la page, promis au même sort). C'est tout le texte proposé dans ce numéro qui ridiculise le complotisme sur lequel ronronnent les dissidents depuis trop longtemps. Le coup de sifflet est donné, il s'agit de se réveiller. Bilan de lecture.

Quelques mots sur le contexte

Cela fait quelques années que Marc-Édouard Nabe, écrivain prolifique et controversé, est en froid avec la mouvance Soral-Dieudonné, autoproclamée "dissidence", alors qu'il lui avait autrefois apporté un soutien écrit et public. La raison du divorce : l'idéologie conspirationniste propagée par les deux personnages, que Nabe a toujours catégoriquement rejetée, attirant à lui des insultes multiples de la part d'Alain Soral. Un livre-pavé censé régler son compte au duo est promis par Nabe depuis août 2013, mais sa sortie a été repoussée plusieurs fois en raison de la tournure prise par les événements appelés à être intégrés dans l'ouvrage. Devant l'impatience des lecteurs réclamant le livre, Marc-Édouard Nabe a décidé d'intituler Patience le nouveau magazine qu'il a créé, et qui sera destiné à paraître entre deux ouvrages, sans rythme de publication déterminé. Ce nouveau système permettra à Nabe de traiter de près certains sujets d'actualité, ce qui n'est pas sans rappeler son expérience de diffusion des tracts. Alors qu'il se trouvait privé d'éditeurs, Nabe avait en effet, de 2006 à 2009, poduit plusieurs textes d'actualité qu'une équipe de lecteurs avait collés sur les murs des plus grandes villes françaises.

 

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Un état de grâce

Ce premier numéro de Patience est parcouru par un seul article de 80 pages qui ne tarit pas d'enthousiasme à propos de Daesh. Son titre, Un État de grâce, ne laisse planer aucune équivoque. On retrouve un Nabe qui n'a pas dévié d'un pouce de la ligne anti-occidentale et pro-arabe pour laquelle il est connu et attaqué de toutes parts. Qu'on ne prenne pas cette posture pour une simple provocation, il s'agit vraiment de l'aboutissement logique de la démarche artistique et politique de Nabe. Difficile de traverser cette lecture sans être profondément dérangé, car, en dépit de son ton dithyrambique, il n'y a rien d'extrémiste, d'absurde ou de délirant dans cet article. Au contraire, l'argumentation solide qui est déployée dans ce texte a de quoi faire vaciller la bonne conscience de tout lecteur occidental. Avec une exemplaire clarté, Nabe expose une analyse complète de l'état du Moyen Orient : l'histoire de la région, la situation géopolitique de la Syrie, les sources de financement de l'Etat islamique, le parcours et les motivations des protagonistes, le rôle des femmes au sein de Daesh, tout est rapporté avec une telle précision que la cohérence de la position nabienne est rendue évidente. Face à un tel déluge d'informations, que Nabe obtient grâce à de nombreux contacts présents sur place, toute théorie complotiste, qui tendrait à faire de l'EIIL une marionnette de l'impérialisme américano-sioniste, est définitivement discréditée.

Contre le complotisme, un réalisme exacerbé

La démarche de Nabe montre avec succès que le complotisme est une machine à occulter le réel. Il s'emploie en effet à démonter ce "poison d'internet" en y opposant le réalisme le plus rigoureux et le plus cru. Par comparaison, l'aspect faux, fade, truqué du conspirationnisme ressort distinctement. Accolées au texte, dont la fluidité du style épouse les sinuosités de la réalité, se trouvent diverses illustrations, pour la plupart insoutenables. Nombreuses, en effet, sont des images de décapitation, capturées sur des vidéos de Daesh. Ce choix ne procède aucunement d'un attrait malsain pour la violence et le sang, mais il s'agit d'un procédé stylistique qui rend à la réalité l'aspect intrusif et brutal qu'elle possède par nature et dont le texte rend fidèlement compte. Tout lecteur de Patience doit s'attendre à une plongée dans le réel, en immersion complète, jusqu'au malaise : avant les abstractions des spécialistes sur la géopolitique de l'Etat islamique, il y a les décapitations, on ne peut pas y couper.

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Exécution d'un soldat chiite irakien par Daesh (Ramadi, 2014) - Illustration de la page 8

On notera également la considération que Nabe accorde aux individus. En tant qu'écrivain, le sort personnel des différents acteurs de l'actualité l'intéresse autant que les schémas théoriques auxquels se bornent les experts de tout poil. Ainsi, même s'il ne montre pas de compassion pour Hervé Gourdel, plusieurs pages d'illustrations sont consacrées aux photos de nu que le randonneur, exécuté en Algérie, avait réalisées. De même, le discours particulièrement éloquent que l'otage américain James Foley avait lu avant d'être décapité en Syrie est retranscrit dans son intégralité. Abdel-Majed Abdel Bary, le bourreau de Foley, n'est pas en reste non plus, au point que Nabe rend hommage à l'un de ses statuts facebook, "Libérez la Réalité" en le retranscrivant au dos du magazine. Difficile, après la description de ces destins singuliers, de soutenir qu'il ne s'agit là que d'hommes manipulés.

A rebours de toutes les propagandes

Contrairement à ce que pourraient objecter de nombreux complotistes qui n'ont jamais lu Nabe, il ne s'agit nullement de combattre le conspirationnisme pour réhabiliter la propagande des médias occidentaux. Celle-ci est autant malmenée que celui-là pendant tout le texte, notamment sur la question des chrétiens d'Orient et des Yazidis, dont Nabe nuance fortement les rumeurs de persécutions relayées par les journalistes. L'attitude des musulmans français intégrés, qui nient la dimension guerrière de l'islam et tentent de se démarquer à tout prix des violences commises par Daesh, est vertement critiquée, de même que la politique étrangère de la France. Il est donc faux de prétendre que l'objectif de Nabe est de réintégrer le Système en défendant une quelconque "version officielle" des faits.

Un avant-goût du prochain livre

Cet opus permettra de lever les doutes émis par ceux qui voyaient en Nabe un écrivain talentueux, mais dépassé, un styliste brillant mais qui aurait raté le coche en n'adhérant pas aux thèses complotistes sur le 11 septembre. Nabe prouve au contraire qu'il reste un intervenant de premier plan, autant du point de vue de la qualité artistique de son œuvre que de la finesse de son analyse politique. Même si la dissidence est attaquée de quelques traits dans Patience, on n'y trouve pas le coup fatal que Nabe a promis de lui asséner. Mais étant donné la force du texte qu'il vient de publier, on ne doute pas que sa main restera ferme au moment de la décapitation annoncée en couverture, et qui viendra avec le prochain livre. L'ouvrage, conçu non pas comme un roman, mais à la manière d'une grande "fresque", devrait faire au moins 2 000 pages, et sortir au printemps 2015. D'ici là, patience...

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